Vivre avec l’obésité
La libre Belgique – Presse – témoignage
”J’ai complètement loupé ma couleur”, nous dit-elle, comme un peu gênée en passant les doigts dans sa courte chevelure aux reflets légèrement violets. Puis, elle se lève : “Je vais mettre des boucles d’oreilles et un peu de rouge à lèvres, ce sera mieux pour les photos”. Revenue, elle interroge notre photographe avant la séance : “Plutôt le Trench ou le Perfecto ?”. On pense que c’est terminé, mais non. À la vue des clichés qui viennent d’être pris, elle commente :
“J’aurais dû mettre des faux cils”. Clairement, Pascale est une coquette. “J’ai toujours aimé prendre soin de moi”, nous répétera-t-elle à plusieurs reprises lors de la rencontre. Son apparence physique, cette maman de deux garçons de 13 et 14 ans y attache une évidente importance. “Même quand je pesais 200 kg – 198 précisément -, je me trouvais belle. J’étais mimi, non ?”, nous interroge la jeune quinqua, en faisant défiler sur son portable une série de photos et vidéos – “que des bons souvenirs” – où, toujours bien rondelette, elle pose à 20 ans, 30 ans, 40 ans, 50 ans, en blonde ou en brune, cheveux courts ou longs, maquillage
bien prononcé… Les looks sont si variés qu’il est difficile de croire qu’il s’agit de la même femme. Et cela, d’autant plus que la silhouette, elle aussi, joue au yo-yo. Mais toujours vers le haut. Née “bébé normal”, comme elle dit, – 52 cm pour 3,2 kg –, Pascale prend très vite des kilos. “En première maternelle, j’étais déjà en surpoids. À l’âge de six ans, j’étais en obésité. Des photos de moi en maillot de bain à la plage à 9 ans montrent que je suis en obésité bien installée. Quand j’ai eu 12 ans, sur le conseil de la maman d’une amie, j’ai pris rendez-vous chez un médecin et j’y suis allée toute seule. J’avais alors 110 kg, ce qui est aujourd’hui le poids de mon fils de 12 ans. À l’époque, on ne parlait pas de maladie. On disait simplement que c’était dû au fait que je mangeais trop. Le médecin m’a proposé de faire une cure de jeûne, mais c’était très cher et mon père a refusé de payer”. Un besoin constant de s’imposer Insultée, malmenée, harcelée par ses “camarades” de classe, la fillette
est déscolarisée de la 3e à la 6e primaire. “Je suis arrivée en secondaire avec un très très gros surpoids, poursuit-elle. J’avais des petits copains parce que j’étais mignonne, mais aucun ne voulait s’afficher ouvertement avec moi. J’ai pris la mauvaise habitude de toujours vouloir m’imposer à tout prix, me mettre en
avant, en faisant le clown… Je pense que ce sont des mécanismes de défense. Et c’est une fâcheuse tendance que j’ai encore. J’avais et j’ai d’ailleurs toujours une grande gueule.
J’ai continué de grossir. Vers 22-23 ans, inquiète pour ma prise de poids que je ressentais clairement, je suis allée voir un endocrinologue. Il m’a mis sur la balance et m’a annoncé un poids auquel je ne m’attendais pas : 153 kg. À l’époque, les balances pour particuliers n’allaient pas au-delà de 110 kg. Ce médecin m’a traitée comme une m… À tel point que, en rentrant, j’ai fait une tentative de suicide”.
Arrivée à 170 kg, Pascale crée en 2003 “Rondinet.com”, une association pour patients obèses. “
Je faisais passer un mauvais message : “Les rondeurs, c’est charmeur”. J’ai même été jusqu’à dire : “100 kg, c’est l’apogée de la beauté !” Je n’avais aucune idée de ce que 100 kg, cela représentait.
Pour moi, c’était un poids de ‘forme’ que j’ai eu pendant 10 ans”. Si aujourd’hui elle est stabilisée à 90 kg pour 1m70, son sommet, Pascale l’a atteint à 33 ans : 198 kg. “À cette époque, j’ai pris 30 kg en un an suite au décès de ma mère.
J’ai fait une grave dépression, j’ai pas arrêté de bouffer et je ne suis plus sortie de chez moi. Voilà comment je suis arrivée à près de 200 kg”. Avec tout ce que cela suppose comme pathologies associées. “Apnées du sommeil, diabète de type 2, ovaires micro polykystiques, problèmes et douleurs articulaires, énumère-t-elle. En plus, quand on a 200 kg, il faut bien savoir que le ménage, ça devient problématique, se laver, aussi, faire les courses, monter les escaliers… tout est incroyablement compliqué. Alors, je passais mes journées couchée dans mon lit, occupée à manger…” Le plus gros estomac jamais vu poursuivant le récit de sa maladie, Pascale détaille :
“J’avais des problèmes d’insuline, donc tout le temps envie de sucre. J’ai alors fait une première opération bariatrique et dès que j’ai été opérée, ça a été ter-mi-né. Plus du tout faim. J’ai pour la première fois de ma vie découvert ce que c’était de ne pas avoir faim. Une sensation que je n’avais jamais connue jusque-là. C’était un truc de fou. Magique. Je me suis rendu compte que mon obésité avait une origine génétique et que ce n’était pas un problème psychologique, comme voulaient me le faire croire les psychologues en me disant que ‘je mangeais mes émotions’. En tout cas pas uniquement psychologique, car il y a aussi probablement cette dimension. Après l’opération, le chirurgien m’a dit que c’était le plus gros estomac qu’il avait vu, il a dû faire une double ouverture pour le sortir”. Neuf ans plus tard, Pascale fait à nouveau une chirurgie bariatrique, un by-pass gastrique “qui n’a pas réussi”. “Le petit estomac de 100 ml est bien là mais il est inopérant car la jonction avec le duodénum est bien trop large, ce qui en fait un puits sans fin. On m’a proposé une ré-opération soit par la pose d’un anneau soit plus invasive, mais j’ai refusé. À présent, pour stabiliser mon poids, je suis sous sémaglutide (Ozempic). Cette molécule, utilisée dans le traitement du diabète de type 2 et avalisée pour le traitement de l’obésité réduit fortement l’appétit ; elle m’a fait perdre 20 kg en un an. Depuis cinq ,six ans, je me sens bien quand je ne mange pas et un peu moins bien quand je mange. Je n’ai pas de fringale, je m’alimente normalement. J’ai aujourd’hui un poids certes pas encore idéal – 90 kg -, mais je vais bien. Si j’ai encore des apnées du sommeil, une résistance à l’insuline, des douleurs articulaires et de la fibrillation auriculaire, j’ai en revanche soigné mon diabète de type 2 en maigrissant. Je ne cherche pas à perdre encore du poids mais ma hantise, il ne faut pas se le cacher, est évidemment de reprendre des kilos.
C’est mon pire cauchemar”. ”On m’appelait ‘la grosse’ ou ‘Bouboule’”
Jalonné de multiples interventions de chirurgie
gastrique, reconstructrice et esthétique, le parcours de Pascale a-t-il aussi été marqué par des tentatives de régime ? “Oui, j’ai essayé deux ou trois fois, mais c’était intenable. Je n’y arrivais pas et j’avais réellement faim. Je me remplissais parce que j’avais faim tout le temps et j’avais un estomac vraiment énorme. Plus je grossissais, plus je mangeais, plus mon estomac grandissait. C’était un cercle vicieux.” Des régimes infructueux, donc, et que dire de l’activité physique ? “En fait, le sport, à part la danse que je pratique régulièrement, je n’aime pas ça – disons- le – et je manque de volonté. En plus, aujourd’hui où je peux plus facilement bouger, j’ai gardé un automatisme de peur de marcher et de ne pas pouvoir revenir, un automatisme de me garer toujours le plus près de la porte… Cela dit, même si la situation actuelle est améliorée, le corps a été usé par le poids qu’il a porté pendant toutes ces années. J’ai peur aussi pour mon espérance de vie, peur de mourir plus tôt…” Le regard pesant des autres Quant à évoquer le regard des autres, que l’on
imagine en l’occurrence particulièrement pénible, Pascale se souvient : “Dès mon plus jeune âge, je me sentais différente ; je faisais l’objet de discriminations, j’étais mise à l’écart… On m’appelait ‘la grosse’ ou ‘Bouboule’. Mon père avait carrément une haine envers moi du fait que j’étais grosse. Il m’a dit : ‘quand tu maigriras, tu auras tout ce que tu voudras’. Même ma mère, qui m’aimait pourtant beaucoup et qui plus tard était d’ailleurs fière de moi, m’a frappée le jour où nous sommes allées chercher ma tenue de communion, en me disant : ‘Tu es énorme, tu ne rentres dans rien…’ Je n’oublierai jamais ce moment. À cette époque, c’était vraiment très violent. Adolescente à l’internat, j’ai été agressée en salle commune. Ils se sont jetés à six sur moi pour me bizuter et me mettre nue, mais ils n’y sont pas arrivés. Maintenant, je pense que cela a changé. En tout cas, mon fils aîné qui est obèse ne le vit pas comme ça, ou peut-être ne le montre-t-il pas, car il y a quand même parfois des moments qui restent durs. Cela dit, pour ce qui est du regard des autres, même si j’ai toujours aimé prendre soin de moi – ce qui est la preuve que je m’aime – et si je suis fan de mode, même si je me trouve mignonne – et ce n’est pas de la prétention -, ce regard a toujours été pesant, difficile à subir. Comme toutes les réflexions que j’ai pu entendre. Ma force a été ma capacité de résilience”. L’obésité a besoin d’une voix en Belgique Aujourd’hui âgée de 52 ans, Pascale, qui s’est clairement reprise en mains, ne s’avoue pas vaincue. Dynamique, elle a créé cette année une association, baptisée Voxobesity, la voix des patients en obésité. Pour quelles raisons ? “Parce que l’obésité a besoin d’une voix auprès du gouvernement pour dire que c’est une maladie du tissu adipeux, multifactorielle, d’origine génétique, environnementale et comportementale et agir pour la reconnaissance de la maladie et la création de structures pluridisciplinaires et de parcours de soins innovants en collaboration
avec les patients. Parce que cette pathologie a besoin d’avoir une voix aussi auprès du public pour expliquer la maladie et pourquoi c’est une maladie. Mais également pour faire savoir tout cela aux personnes obèses qui culpabilisent, qui pensent qu’elles sont incapables de gérer leur vie, leur alimentation.” Très active sur les réseaux sociaux, Pascale a aussi un compte TikTok. “Il s’appelle ‘Miss 100 kg’. Il est dédié à l’obésité. J’ai 20 000 followers, se réjouitelle. 100 kg, c’est ce que j’ai perdu mais c’est aussi à peu près ce que j’ai encore ; c’est une réalité. Il ne faut pas avoir honte de ce qu’on est, mais il faut prendre l’obésité au sérieux. Et surtout,
A travers “Mots pour maux”, La
Libre a choisi de donner la parole à des
personnes affectées par des maladies
diverses, tant physiques que mentales,
courantes ou rares. Des rencontres qui
ont pour objectifs de comprendre leur
quotidien, leurs difficultés et espoirs,
de partager leur regard sur l’existence.
Une manière aussi de rappeler que nul
n’est à l’abri de ces accidents de la vie.
Cette série est à retrouver un lundi sur
deux sur notre site